Dans ‘Bords de Mer’, le poète français Francis Ponge nous invite à une réflexion profonde sur la mer, ce vaste élément qui, dans sa simplicité apparente, cache une complexité infinie. Écrit au 20ᵉ siècle, ce poème témoigne du désir humain d’appréhender et de définir l’immensité de la nature. À travers une écriture riche en images et en sensations, Ponge explore les interactions entre l’homme et l’environnement marin, soulignant l’irréductible beauté et l’indifférence de la mer.
La mer jusqu’à l’approche de ses limites est une chose simple qui se répète flot par flot. Mais les choses les plus simples dans la nature ne s’abordent pas sans y mettre
beaucoup de formes, faire beaucoup de façons, les choses les plus épaisses sans subir quelque amenuisement. C’est pourquoi l’homme, et par rancune aussi contre leur immensité qui
l’assomme, se précipite aux bords ou à l’intersection des grandes choses pour les définir. Car la raison au sein de l’uniforme dangereusement ballotte et se raréfie : un
esprit en mal de notions doit d’abord s’approvisionner d’apparences.
Tandis que l’air même tracassé soit par les variations de sa température ou par un tragique besoin d’influence et d’informations par lui-même sur chaque chose ne feuillette
pourtant et corne que superficiellement le volumineux tome marin, l’autre élément plus stable qui nous supporte y plonge obliquement jusqu’à leur garde rocheuse de larges
couteaux terreux qui séjournent dans l’épaisseur. Parfois à la rencontre d’un muscle énergique une lame ressort peu à peu : c’est ce qu’on appelle une plage.
Dépaysée à l’air libre, mais repoussée par les profondeurs quoique jusqu’à un certain point familiarisée avec elles, cette portion de l’étendue s’allonge
entre les deux plus ou moins fauve et stérile, et ne supporte ordinairement qu’un trésor de débris inlassablement polis et ramassés par le destructeur. Un concert
élémentaire, par sa discrétion plus délicieux et sujet à réflexion, est accordé là depuis l’éternité pour personne : depuis sa formation par
l’opération sur une platitude sans bornes de l’esprit d’insistance qui souffle parfois des cieux, le flot venu de loin sans heurts et sans reproche enfin pour la première fois trouve
à qui parler. Mais une seule et brève parole est confiée aux cailloux et aux coquillages, qui s’en montrent assez remués, et il expire en la proférant; et tous ceux qui
le suivent expireront aussi en proférant la pareille, parfois par temps à peine un peu plus fort clamée. Chacun par-dessus l’autre parvenu à l’orchestre se hausse un peu le
col, se découvre, et se nomme à qui il fut adressé. Mille homonymes seigneurs ainsi sont admis le même jour à la présentation par la mer prolixe et prolifique en
offres labiales à chacun de ses bords.
Aussi bien sur votre forum, 6 galets, n’est-ce pas, pour une harangue grossière, quelque paysan du Danube qui vient se faire entendre : mais le Danube lui-même, mêlé à
tous les autres fleuves du monde après avoir perdu leur sens et leur prétention, et profondément réservés dans une désillusion amère seulement au goût de
qui aurait à conscience d’en apprécier par absorption la qualité la plus secrète, la saveur.
C’est en effet, après l’anarchie des fleuves, à leur relâchement dans le profond et copieusement habité lieu commun de la matière liquide, que l’on a donné le nom
de mer. Voilà pourquoi à ses propres bords celle-ci semblera toujours absente : profitant de l’éloi-gnement réciproque qui leur interdit de communiquer entre eux sinon
à travers elle ou par de grands détours, elle laisse sans doute croire à chacun d’eux qu’elle se dirige spécialement vers lui. En réalité, polie avec tout le
monde, et plus que polie : capable pour chacun d’eux de tous les emportements, de toutes les convictions successives, elle garde au fond de sa cuvette à demeure son infinie possession de
courants. Elle ne sort jamais de ses bornes qu’un peu, met elle-même un frein à la fureur de ses flots, et comme la méduse qu’elle abandonne aux pêcheurs pour image
réduite ou échantillon d’elle-même, fuit seulement une révérence extatique par tous ses bords.
Ainsi en est-il de l’antique robe de Neptune, cet iiinonccllcnient pseudo-organique de voiles sur les trois quarts du monde uniment répandus. Ni par l’aveugle poignard des roches, ni par
la plus creusante tempête tournant des paquets de feuilles à la fois, ni par l’œil attentif de l’homme employé avec peine et d’ailleurs sans contrôle dans un milieu
interdit aux orifices débouchés des autres sens et qu’un bras plongé pour saisir trouble plus encore, ce livre au fond n’a été lu.
beaucoup de formes, faire beaucoup de façons, les choses les plus épaisses sans subir quelque amenuisement. C’est pourquoi l’homme, et par rancune aussi contre leur immensité qui
l’assomme, se précipite aux bords ou à l’intersection des grandes choses pour les définir. Car la raison au sein de l’uniforme dangereusement ballotte et se raréfie : un
esprit en mal de notions doit d’abord s’approvisionner d’apparences.
Tandis que l’air même tracassé soit par les variations de sa température ou par un tragique besoin d’influence et d’informations par lui-même sur chaque chose ne feuillette
pourtant et corne que superficiellement le volumineux tome marin, l’autre élément plus stable qui nous supporte y plonge obliquement jusqu’à leur garde rocheuse de larges
couteaux terreux qui séjournent dans l’épaisseur. Parfois à la rencontre d’un muscle énergique une lame ressort peu à peu : c’est ce qu’on appelle une plage.
Dépaysée à l’air libre, mais repoussée par les profondeurs quoique jusqu’à un certain point familiarisée avec elles, cette portion de l’étendue s’allonge
entre les deux plus ou moins fauve et stérile, et ne supporte ordinairement qu’un trésor de débris inlassablement polis et ramassés par le destructeur. Un concert
élémentaire, par sa discrétion plus délicieux et sujet à réflexion, est accordé là depuis l’éternité pour personne : depuis sa formation par
l’opération sur une platitude sans bornes de l’esprit d’insistance qui souffle parfois des cieux, le flot venu de loin sans heurts et sans reproche enfin pour la première fois trouve
à qui parler. Mais une seule et brève parole est confiée aux cailloux et aux coquillages, qui s’en montrent assez remués, et il expire en la proférant; et tous ceux qui
le suivent expireront aussi en proférant la pareille, parfois par temps à peine un peu plus fort clamée. Chacun par-dessus l’autre parvenu à l’orchestre se hausse un peu le
col, se découvre, et se nomme à qui il fut adressé. Mille homonymes seigneurs ainsi sont admis le même jour à la présentation par la mer prolixe et prolifique en
offres labiales à chacun de ses bords.
Aussi bien sur votre forum, 6 galets, n’est-ce pas, pour une harangue grossière, quelque paysan du Danube qui vient se faire entendre : mais le Danube lui-même, mêlé à
tous les autres fleuves du monde après avoir perdu leur sens et leur prétention, et profondément réservés dans une désillusion amère seulement au goût de
qui aurait à conscience d’en apprécier par absorption la qualité la plus secrète, la saveur.
C’est en effet, après l’anarchie des fleuves, à leur relâchement dans le profond et copieusement habité lieu commun de la matière liquide, que l’on a donné le nom
de mer. Voilà pourquoi à ses propres bords celle-ci semblera toujours absente : profitant de l’éloi-gnement réciproque qui leur interdit de communiquer entre eux sinon
à travers elle ou par de grands détours, elle laisse sans doute croire à chacun d’eux qu’elle se dirige spécialement vers lui. En réalité, polie avec tout le
monde, et plus que polie : capable pour chacun d’eux de tous les emportements, de toutes les convictions successives, elle garde au fond de sa cuvette à demeure son infinie possession de
courants. Elle ne sort jamais de ses bornes qu’un peu, met elle-même un frein à la fureur de ses flots, et comme la méduse qu’elle abandonne aux pêcheurs pour image
réduite ou échantillon d’elle-même, fuit seulement une révérence extatique par tous ses bords.
Ainsi en est-il de l’antique robe de Neptune, cet iiinonccllcnient pseudo-organique de voiles sur les trois quarts du monde uniment répandus. Ni par l’aveugle poignard des roches, ni par
la plus creusante tempête tournant des paquets de feuilles à la fois, ni par l’œil attentif de l’homme employé avec peine et d’ailleurs sans contrôle dans un milieu
interdit aux orifices débouchés des autres sens et qu’un bras plongé pour saisir trouble plus encore, ce livre au fond n’a été lu.
Ce poème nous incite à méditer sur notre place face à la nature et son insondable profondeur. N’hésitez pas à plonger plus loin dans l’univers poétique de Francis Ponge et à partager vos réflexions sur cette oeuvre fascinante.