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La Romance du Retour

Dans ‘La Romance du Retour’, Jean Pellerin peint une toile vivante de Paris, une métropole saturée de promesses et de souvenirs. Écrit en 1919, ce poème évoque le changement, la nostalgie et l’éveil des sens au cœur de la ville lumière, faisant écho à une époque où l’art et la vie quotidienne se mêlaient. À travers une approche lyrique, Pellerin explore l’amour, la perte et le passage du temps, rendant son œuvre intemporelle.
à Roger Allard Paris, milliers de promesses, Appels de taxis inviteurs, Aveux de nocturnes prouesses Dans les corbeilles des facteurs, Milliers de maisons, de femmes, Sarabande d’hommes infâmes, Tournois de mauvaises raisons! Le ciné donne Forfaiture. La marchande, sur sa voiture, N’a pas plus de quatre saisons. Foutons ses huit jours au poëte! Moi, j’ai copié des chansons. La femme du plombier, coquette, Ne sort pas avec ses chaussons. Drap blanc, satin cardinalice, Dans l’ombre du car dîne Alice. Elle regrette ses péchés Quand son âme, cendre légère D’une cigarette étrangère, Tombe sur les fruits épluchés. Aux aurores de Macédoine Où glissait l’auto de Sarrail, Que l’adjudant cherche un idoine À la pose d’un nouveau rail. Reviens au square de Laborde Émouvoir ton sein qui déborde Selon mon rêve de Corfou. En mutilant un chant d’Église Le rémouleur immobilise La moitié d’un cycliste fou. J’ai pleuré par les nuits livides Et de chaudes nuits m’ont pleuré. J’ai pleuré sur des hommes vides À jamais d’un nom préféré. Froides horreurs que rien n’efface! La terre écarte de sa face Ses longs cheveux indifférents, Notre vieux monde persévère. Douze sous pour un petit verre! Combien va-t-on payer les grands? La dame du chalet d’aisances Regarde le biplan furtif. En manière de bienséance, Claude m’offre un apéritif. Le garçon chérit la caissière Et mêle sirops et poussière Au cœur d’un torchon hasardeux. La caissière se couperose. Et pour Monsieur? — La même chose, Cinzano — Deux cinzanos, deux! Manon à l’Opéra-Comique, Sphinx étonnant et cætera. Il partit pour le Mozambique À la recherche d’un ara. Et, là-bas, une Vénus noire Dont la cuisse énorme se moire Au soir tombant d’un frisson d’or Se fait chatouiller la luette Pendant que la tendre alouette Cède aux instances du condor. Quarante-chevaux qui s’ébroue. Arrêt. Le chauffeur va charger Avant de partir une roue Amovible. Un noble étranger, Boyard ou camérier du Pape, Monte. La craintive soupape Élève un murmure brisé ; Ses sœurs chantent avec ensemble, Mais elle, doute, appelle, tremble Sur un cylindre ovalisé. La porte me flaire, elle hésite. De pommes, avare espalier, Voici, défleuri de visites, Voici le plus bel escalier! Voici le Seigneur devant l’arche! Tringles, vibrez au ras des marches Pour la fanfare qu’on lui doit; Joue un rôle, minuterie, Déchaîne l’éclair des féeries Sans la prière de mon doigt! Mon logis est une Floride, Ma maison est une Tempé. Laisse une quémandeuse aride Choyer le gardien de la paix. Que la concierge nostalgique D’une mixture odontalgique Imbibe un coton pour sa dent; Malgré l’échalote des cèpes, La vierge écorchant « Dans les steppes », Échangeons notre souffle ardent. Grâce à toi l’univers s’explique; L’ombre hésitante de tes cils Forme la grille qui s’applique Sur tous nos textes obscurcis. Ton geste résout et propose. Le vers se lave de la prose, Comme Aphrodite jaillissant De l’écume qui la fomente, D’un serpent vert, algue infamante, Libère un torse éblouissant. Ta nuque est une fleur choisie Avec mille soins délicats Par la fée aux matins d’Asie. Tes bras ont le goût des muscats, Tes cheveux tordent une flamme. Tes genoux ouvrent une femme, Un sourire vient se loger Au plus tendre coin de ta bouche: Lève ton visage que touche Le bonheur au crayon léger. C’était une nuit de novembre Que mon amertume évoquait: Le grand feu mêlait dans la chambre Sa résine âpre à ton bouquet. Ainsi que le soleil traverse Un réseau nonchalant d’averses, Il perçait, ton sourire las, Des brumes de poudre irisée Et, fraîche odeur vaporisée, Une bruine de lilas. Journaux, feuilletons, détectives, Catalogues, modes d’été, Chénier a des jeunes captives, Et le divan, des voluptés. Là-haut, méprisant la sourdine, On te mutile Borodine, Rageuse dépravation! Amusons-nous avec nos bouches, Laissons se fatiguer les mouches À faire de l’aviation. Rester là ! Fermer les persiennes, Voyager des mois et des mois Dans ses amours, chacun les siennes, Amants étrangers et siamois! Contempler durant tout l’automne Cette mer à fleurs de cretonne, Puis, un jour, arriver soudain, Sans que l’imprévu nous enivre, À ce blanc royaume du givre Où chaque vitre est un jardin. Suspends ton vol! priait cet autre. Vieillard méthodique et gaffeur, Va porter ta barbe d’apôtre Aux soins odorants du coiffeur. Si tu pouvais, inexorable, Laisser la boîte où court le sable Entre la brosse et le rasoir… Mais déjà ta droite hâtive Gave, gave la rotative De papier à vendre le soir. Fermons les romans d’aventures, Oublions le chien sur un plaid, Et regardons les devantures Où se complaisent les complets. J’achèterai cette commode. Le film n’a que douze épisodes, Pearl a cent costumes tailleurs. Viens, laisse danser les bretelles Au souvenir de tarentelles, Et courons désirer ailleurs. Pour que le lampas mente et rie On va dans les grands magasins. Lampas, pas, passementerie, Bassins, basins, René Bazin. Il est malsain, prétend le sage, De vouloir s’élever. La cage Enferme l’ascenseur dompté. Sombre fureur des bousculades! La vendeuse crie : « Accolade… » On s’embrasse. Fraternité ! Dansons. Le tango se déroule Comme un boa qui digéra. Près de Saint-Philippe-du-Roule Un Turc a suggéré Péra. D’un caprice, un sultan fait sienne Une large Circassienne. L’eunuque a fini les liqueurs ; Il sommeille sur les caroubes, Appelle-moi : Kout-al-Kouloube Ou bien : Nourriture des Cœurs. Carmen, la changeante Espagnole, Aimait les courses de taureaux, J’aime la course des bagnolles À l’heure où l’on sort des bureaux. La banque a des guichets sans nombre Mais Peter, marchand de son ombre, N’ose, offrir le chèque maudit Où le diable a mis son paraphe. Cependant, la dactylographe L’agrafe d’un œil enhardi. Ces messieurs ne vont pas au Louvre, Ils n’ont pas de mauvais desseins. Ils sont moroses. Mais, quand s’ouvre Le portefeuille, saint des saints, Leur cœur est une vaste lyre Et leur unanime délire Est ce délire qui clouait L’Homme de Dieu sur la montagne Et les croyants de la Bretagne Aux anneaux polis du Faouet. Trafics. Dépêches des agences Et diligence des agents. Mines d’or! La T. S. F. lance Aux ondes un message urgent. Là-bas le prospecteur prospecte, Ici, le noir caissier suspecte. Le Salon d’Automne est ouvert! Or, on n’a peint que des prairies; Comme un banc devant la Mairie, Le Salon d’Automne est tout vert. L’hémérocalle safranée, Le nyctanthe de Malabar Ne fleurissent plus cette année Les tubes nickelés du bar. Le lad est parti, Dolly brune, À qui vous filiez une thune Contre un pronostic pour Longchamp. Seule, demeure la gravure Où l’Anglaise au teint de saumure Flatte, rêveuse, un chien couchant. Le néphrétique est frénétique. Poincaré lève son gibus Que ramène un bout d’élastique. Cahoté par l’R, autobus, Debout et songeur sur la poupe Un homme sourit à la soupe Qui l’attend. D’honneurs saturé, Des lois automatique otage, Le Président pense au potage Fait par Madame Poincaré. Locataire de l’Elysée, J’agencerais de beaux repas. On verrait la nappe empourprée Avec la fleur du catalpa. On entendrait des comédiennes, Des chorégraphes indiennes Broderaient de fauves splendeurs. J’aurais, au temps caniculaire, Des esclaves, ô Baudelaire, Nus et tout imprégnés d’odeurs. Chez l’infortuné libraire, ivres, Les personnages des romans Se promènent de livre en livre. La Bovary prend pour amant Julien Sorel. De Virginie Valmont est le mauvais génie. Paul chez Salammbô va pleurer: Que voulez-vous qu’elle lui dise? Le client rend la marchandise, Non, cela ne peut pas durer! L’Opéra, le Carpeaux à l’encre, Et l’Oméga dans le lointain, La galère toujours à l’ancre Du fade métropolitain. Voici la Paix. C’est une enseigne. Au comptoir un géranium saigne; Mais Toulet a rejoint l’Adour Où l’Orient tourne sur l’axe Des pipes noires que malaxe La princesse Boudroulboudour. Allons boire. Au Lapin Agile Frédéric tend au récitant Un de ses plats pétris d’argile Et dit au public réticent : « Le poète est comme la rose, Mesdames, il faut qu’on l’arrose Pour ne le point voir dépérir. » Gabrielle a la gorge calme, Je lui décernerai la palme Au gymkhana de mes désirs. Pauvreté, chaste sœur de l’homme, Je voudrais qu’on chantât ton lied. Le chœur se tait. Et je suis comme Le lézard aux seuils de Jamshyd. Le monde n’a crié Lucine Que pour accoucher de l’usine. La fantaisie et le subtil Vont fuir le règne du morlingue ; Ils sont déjà dans la carlingue Et chacun dit: « Ainsi soit-il ». De quelle magnéto géante, De quel encéphale exalté Sortira la parcelle ardente, L’étincelle de la bonté? Mais le siècle est laid, l’homme ladre, La toile est assortie au cadre. Une vétuste Alice Ozy Croit que Satan qui la menace Se cache sous l’armoire à glace Pour voir son derrière moisi. Ô tristesse des parapluies, Bourgeois tièdes et constipés, Bonnet de coton qui s’ennuie Sur un Ubu morne et grippé! Shirting et pilou de ces dames, Bassesse ingrate de ces âmes, Habitudes, raisonnements, Oui, c’est pour ces larves sans charmes Que Pellerin porta les armes Et dormit au cantonnement! Venez, esclaves, mes pensées Consoler. Et, si vous tardez, Vous verrez mes mains balancées Sur quelque mauvais coup de dés. Bouleversez l’ordre comique, Chantez une chanson cosmique, Ouvrez-nous les Eldorados Que Dranem y soit — ou Candide. Laissons le boulevard sordide Et que se lève le rideau. Tout l’horizon de l’ouvrière Est la fenêtre de l’hôtel Où son regard, morne tarière, Perce des trous dans l’immortel. Sa machine, plus diligente, Fait mille piqûres qu’argente Le don illimité d’un fil. Et si la fenêtre s’efface, Si l’inconnu s’offre de face Elle cherche encor son profil. Ferme les tiroirs de ton âme. Au philosophe, ce cardeur, Ne va pas donner, pauvre femme, Le matelas de ta candeur. Ces trésors dont la toile est pleine, Ces illusions, douce laine, Il y coucherait sa raison. Et la science organisée C’est la paille colonisée : Insomnie et démangeaisons. La cuisinière au lit de sangle Quand la chevauche le frotteur Ne construit pas sur le même angle Que les savants de chez Pasteur. Provençal aux chœurs de Mireille L’auvergnat du passage Reille Devient brahmine avec Lakmé. Le Hanovre se croit Cythère, Qui-tu-sais l’étroit mousquetaire, Et moi, je m’imagine aimé. Aimer? Qui se leurre? Aristippe? Le professeur d’ocarina Qui, chaque soir, après sa pipe, Jouait « C’est dans tes yeux, Lina »? Est-ce mademoiselle Angèle Dont chaque larme se congèle À la froideur des sentiments? Ou la Reine des érasties Vêtant par galvanoplastie Les cadavres de ses amants? Majestueuse, la nuit tombe Ainsi qu’à la fin d’un sonnet. L’adultère chauffe ses lombes Chez un monsieur qu’elle connaît. Sur la pellicule argentée, Déjà, la cohorte excitée Des cowboys gagés au ciné Cravache, éperonne, se campe, Et va jeter devant la lampe L’ardeur d’un galop obstiné. Aimer. Sieste sur le rivage. Ton lit est un geôlier courtois. L’oiseau qui traverse la page A choisi sa route et son toit. L’amour, au meilleur de ses zèles Ne s’endort pas avec ses ailes. Ton lit est le noir souterrain Où nulle sorcière ne file. Ton lit est la barque immobile Dans le panorama forain. Au clavier Chopin se confie En un la mineur affligé. Je mettrai ta photographie Près de Joffre à son G. Q. G. Cézanne arrondit une pomme, Potin arrondit une somme, La guenon bâille son ennui, Des trains sifflent vers les banlieues, Une étoile rose, une bleue, Un rideau glisse… Et c’est la nuit. Silence. Les dernières rames Impatientes aux arrêts Vont porter les dernières dames Au terminus de Champerret. Armistice des porcelaines. La vitre a mangé nos haleines En face, les époux vantés Opposant leurs ventres convexes Tentent d’utiliser leurs sexes Aux yeux d’un Greuze épouvanté. Aimer. Tu seras dévêtue, J’aurai quitté mon pyjama. Il faudra que je m’évertue, Non. Je pars pour Yokohama. Le charbon devient maritime Et le large fauteuil intime, Où va chatoyer ton crépon, Sent qu’en son cuir se cristallise, Soudain, l’âme d’une valise Dans les cahots d’un entrepont. Je veux un logis où le rêve Puisse fumer, conclure un bail, S’établir, former des élèves Et se promener en chandail. Où, plus promptes que les hertziennes, À Chandernagor ou à Sienne Ses ondes sauront le placer. L’espoir filigrane une voile, L’eau fait gauchir les seaux de toile, Une bielle va m’exaucer. « Ne touchez pas aux allumettes! » Disait Prométhée aux enfants. Porte un bracelet-amulette Cornaline et poil d’éléphant. Ni le dol ni la malveillance, Ne pourront fausser la Balance, Ou fêler l’urne du Verseau. Une planète salutaire Par la flèche du Sagittaire Vint s’épingler à ton berceau. Calypso voit partir Ulysse. On a laissé tomber Didon Tu feras poivrer ma pelisse Quand j’aurai gagné mon pardon. Dans la rue un moteur m’appelle; Son ralenti soyeux épelle Un chant nomade et reconnu Adieu, mon exigeante hôtesse. L’exil nourrira la tristesse De la rose de ton pied nu. Paris-1919
La profondeur de ‘La Romance du Retour’ pousse à une réflexion sur notre propre rapport aux lieux que nous avons connus. Ce poème invite à explorer davantage les œuvres de Pellerin, en cherchant à comprendre comment ses mots résonnent encore aujourd’hui dans notre vécu.

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