Les Larmes de la Forêt Maudite
Étend ses doigts glacés sur les chênes torturés,
Où l’ombre des regrets danse en litanie vaine,
Et murmure l’adieu des amants égarés.
Ici, chaque soupir s’accroche aux branches mortes,
Les racines, serpents avides de secrets,
Boivent les pleurs du temps là où les âmes sont fortes,
Mais ploient sous le fardeau des promesses jamais…
Éléonore avance, spectre en robe de lune,
Ses pas creusent le sol où gît l’écho des morts ;
La forêt, cathédrale aux vitraux de rancune,
L’enveloppe d’un froid qui mord comme un remords.
Ses cheveux, étendard d’un automne défunt,
Flottent tels des rubans liant les souvenirs,
Et dans ses yeux éteints, deux lacs d’azave brun,
Se reflète l’instant où tout devint délire.
***
C’était un soir pareil, sous les cieux convulsés,
Qu’Adrien lui jura l’éternité des gestes.
Les étoiles, témoins de leurs vœux insensés,
Avaient tissé un dais de clarté céleste.
« Je prends les monts à témoin, les torrents et les vents,
Dit-il, main sur son cœur où battait la folie,
Aucun sortilège, aucun déchirement du temps
Ne brisera l’acier de notre symphonie. »
Mais les arbres riaient, sachant ce qu’il taisait :
Dans la clairière obscure où l’aube ne vient plus,
Une autre ombre attendait, une autre voix plaisait,
Celle dont les cheveux sentent le lierre froid.
***
Les mois passèrent, lents comme un glas monotone.
Adrien, chaque nuit, s’enfonçait dans les bois,
Laissant Éléonore aux sanglots de l’automne,
Aux miroirs brisés où se fanaient ses droits.
Un jour, elle le suivit, pieds nus sur les épines,
L’âme en lambeaux tendue vers l’aveu qui fuit.
La forêt, complice, étouffa ses ruines,
Et guida ses pas vers l’antre de la nuit.
Là, sous un orme noir que les corbeaux couronnent,
Elle vit son amant, genou à terre offert,
Tenant les mains nacrées d’une créature throne
Dont les yeux verts brûlaient comme un hiver découvert.
« Pourquoi lui ? » cria-t-elle au vent qui se retint.
Les branches se courbèrent, retenant leur haleine.
Adrien, se levant, eut un geste incertain :
« Elle m’a promis l’ombre où plus rien ne me chaîne.
Je suis las des serments, des lueurs éphémères,
De tes pleurs qui pesaient comme des socs de fer.
La reine des ténèbres m’offre des royaumes amers,
Mais libres du fardeau de ton éternel hiver. »
***
Le sol trembla. Les cieux déchirèrent leurs voiles.
Éléonore, statue au cœur transpercé,
Sentit naître en sa chair les racines de l’étoile
Qui lient les damnés au chant du trépas.
« Prends donc ta liberté, fantôme aux lèvres vaines !
Moi, je reste ici, gardienne du serment.
Que chaque pas que tu fuis soit une chaîne,
Et chaque baiser de l’ombre un repentir ardent. »
Il partit. Elle tomba, front contre la terre noire,
Tandis que la forêt, lentement, l’absorbait,
Tressant dans ses cheveux des ronces de mémoire,
Et changeant son sang en pluie qui jamais ne tarit.
***
Maintenant, quand la lune argente les fougères,
On entend une voix qui gémit sans espoir,
Mêlée au craquement des branches éphémères :
« Pourquoi l’amour se vend-il au marché du soir ? »
Les voyageurs égarés, près de l’orme qui pleure,
Voient parfois une forme en robe de brouillard,
Qui tend vers l’horizon des mains que l’heure effleure,
Et dont les larmes font germer les fleurs de hasard.
Mais gare à qui s’attarde ! La reine aux yeux de ronce,
Celle pour qui l’on trahit les serments d’autrefois,
Aimanté par les cœurs que la douleur ensemence,
Engloutit les vivants dans son rire sans voix.
***
Ainsi repose Éléonore, corps et âme liés
Aux entrailles du bois où tout amour se fane.
Son chant, porté par l’aube aux lèvres oubliées,
Raconte aux vents marris le prix d’une profane.
Et chaque nuit, l’écho de son dernier sanglot
Rappelle aux cœurs ardents que sous l’écorce sombre,
Parmi les lys fanés et les feuilles qui se meurent,
La trahison est un fruit qui fleurit dans l’ombre.
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