La Cime des Larmes Éternelles
Le vent mordait les flancs des monts aux crins d’albâtre,
Où la neige éternelle étouffait les sanglots,
Quand Éléonore, en deuil de son être alâtre,
Grava l’escalier froid des nuages enclos.
Son cœur, linceul troué par les griffes du doute,
Cherchait dans les sommets un souffle de vérité,
Tandis que le passé, spectre aux lèvres de goûte,
Murmurait l’adieu noir qui l’avait déchirée.
Canto I – L’Appel des Abîmes
Ses pas creusaient la nuit où gemmaient les étoiles,
Traçant un sillon pâle aux confins du réel.
Le glacier, miroir froid des anciennes querelles,
Lui renvoyait l’écho d’un amour solennel.
«Ô toi qui m’as promise aux serments de l’aurore,
Pourquoi ton dernier vu s’est-il éteint si bas ?
J’ai vu ta main glisser de mes doigts sans décore,
Et l’hiver a scellé nos noms sous son compas.»
Un corbeau traversa le silence de pierre,
Portant dans son cri rauque un présage fatal.
Elle crut reconnaître, au pli de la lumière,
Le reflet perdu d’un visage de cristal.
«Gaspard !» Son nom tomba dans le puits des mémoires,
Ricochant sur les murs du temps dévastateur.
La pente se fit lente, et l’air buvait ses gloires,
Tandis qu’un vieux manuscrit, trouvé près d’un chteuteur,
Avait trahi jadis leur pacte inviolable :
L’encre pâle disait son exil vers les cieux,
Sa chair offerte aux loups de l’ombre impardonnable
Pour sauver d’un péril inventé par les dieux.
Mais Éléonore, aveugle aux ruses du sage,
N’avait vu dans ces mots qu’un abandon cruel.
Depuis, chaque flocon lui semblait un message,
Un alphabet gelé menant à l’essentiel.
Canto II – Les Labyrinthes du Givre
Soudain, le brouillard prit les traits d’un corridor
Où dansaient les soupirs de leurs jours éclipsés.
Une ombre à son côté, plus lourde que la mort,
Lui tendit un miroir aux éclats empressés :
«Regarde ! Entre mes bras, ton âme était complice,
Mais tu préféras croire au venin du soupçon.
Mon exil fut un leurre, et ma tombe, un supplice…
Cherches-tu vraiment l’or de notre trahison ?»
Elle voulut saisir cette main fantasmée,
Mais le spectre fondit en ruisseau de frimas.
Seul resta, suspendu, le poids de la fumée
Et l’amer souvenir de leurs derniers combats.
«Je ne fuis point ma faute, ô douleur familière !
Mais qui donc, sans fléchir, peut affronter son cœur
Quand la raison n’est plus qu’une lampe prisonnière
Dont la flamme se meurt aux fourreaux du malheur ?»
Canto III – L’Étreinte des Solstices
Trois lunes s’effacèrent dans son ascension,
Trois lunes où la faim lui rongeait les entrailles.
Un matin, elle vit, sculpté dans un glaçon,
Le visage figé de ses propres batailles.
Les yeux clos, les cheveux nattés de givre épais,
Une femme semblait dormir dans la paroi.
«C’est moi», souffla-t-elle à l’oreille des forêts,
Tandis qu’un loup blessé hurlait au fond de soi.
Plus haut, un temple nu dressait ses colonnades
Où le vent composait d’étranges oraisons.
Sur l’autel crevassé, parmi les stalactites,
Luisaient deux anneaux unis par un fil de son.
«Nos alliances…» Son rire fêla le rêve.
Le métal, autrefois plus chaud que le soleil,
N’était plus que débris sous la morsure brève
D’un destin qui jouait avec l’écho vermeil.
Épilogue – La Ronde des Silences
Quand l’aube aux doigts de cendre effleura les sommets,
On trouva son corps nu couché sur une stèle,
Les paumes ouvertes vers les cieux interdits,
Ses lèvres bleues ayant bu la nuit éternelle.
Dans ses yeux grands ouverts, deux larmes de diamant
Fixaient l’horizon vide où s’étaient enfouis
L’amour et son secret, ce double testament
Qu’un homme et une montagne emportèrent minuit.
Depuis, quand vient l’hiver, les guides égarés
Entendent une voix qui danse avec la bise :
«Chercheur de vérité, crains ce que tu sauras…
Toute neige est un leurre, et toute cendre, une brise.»
Le glacier lentement dévore les soupirs,
Et la montagne veille, gardienne des mensonges,
Tandis qu’au fond des temps, là où tout vient mourir,
Dansent deux ombres folles aux manteaux de mensonges.
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