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La Baignoire
Dans ‘La Baignoire’, Jean Anouilh nous plonge dans les tourments d’une femme face à son reflet. Écrite au 20ᵉ siècle, cette œuvre évoque avec puissance le passage inexorable du temps et la quête désespérée de la beauté. À travers le regard critique de son personnage, Anouilh questionne les normes de la société sur la féminité et l’amour, et souligne la souffrance liée à la perception de soi.
Entourée de dix pots de crème Une jeune femme pleurait. Tendue comme pythonisse Chaque matin elle scrutait Son visage encor jeune et lisse Dans les trois faces du miroir. « Je suis vieille, je suis ridée, je suis blême; Regardez, je fais peur à voir ! Comment voulez-vous que l’on m’aime Si je me fais peur à moi-même ? Je ne puis plus me montrer que le soir, Dans les lumières tamisées Comme une vieille femme et c’était hier pourtant Que l’on a fêté mes vingt ans ! Hélas! Mes jeunes années, Vous voilà déjà envolées… Et qu’est-ce que j’ai fait de vous ? » (Elle ne s’était pas encore décidée Comme d’autres, à prendre un amant Pour s’y contempler plus commodément.) Elle en était réduite à passer son courroux Sur son triste mari, tapi dans la baignoire, Qui, pour ne pas avoir d’histoires, Se taisait dans l’eau jusqu’au cou N’osant plus remuer du tout. Elle continuait, interrogeant la glace Et se répondant elle-même. « On trouvait autrefois que j’avais de la grâce, Mais avec la vie que je mène… Je ne suis pas servie : une bonne d’enfants Empotée, Une cuisinière emportée, Qui brûle tout pour un reproche insignifiant, Pour camériste : une simple d’esprit! Et moi avec tout mon temps pris Le coiffeur ce matin, trois heures sous le casque, S’il veut me prendre, car je vais être en retard. Je ne peux pas partir sans chignon et sans fard. Une couturière fantasque — C’est entendu Coco a du génie Mais elle vous le fait payer! (Le mari ne put s’empêcher de bouger Une jambe — avec une prudence infinie.) A quelle heure consentira-t-elle à m’essayer ? Vous verrez, je n’aurai pas le temps de déjeuner! Madame Bassano qui m’attend, rue Ampère, A trois heures, pour mon massage. Et Tireli A cinq — c’est mon docteur — vous acceptez, j’espère, Que je me soigne avant d’être clouée au lit ? J’ai promis de passer chez Luce. Bon apôtre! C’est pour vous que j’y vais, ces amis sont les vôtres, Et il faudra que je trouve le temps De m’y montrer en coup de vent. Dans quel état mon Dieu ! Et Julie, qui m’emmène A sept heures chez une voyante roumaine Étonnante, que des amis lui ont trouvée. Je suis si angoissée, si cette femme avait Le pouvoir de me rendre, enfin, un peu de calme! (Le mari rêvait à des palmes, A un hamac dans un pays ensoleillé. Il s’endormit dans l’eau et faillit se noyer…) Bien ! Eclaboussez-moi, pour arranger les choses!…» Elle partit, enfin, sur ses très hauts talons, Claquant des portes, toute rose De fureur, car la bonne lui dit, en sortant, Que c’était le jour justement Qu’elle avait promis aux enfants. « Où voulez-vous que j’en prenne le temps, ma fille ? » Ah ! c’est bien lourd, une famille, Un mari et une maison. Seul le pauvre homme, enfin tranquille, Sortit comme un vieux cornichon Tout fripé de son bain trop long. Il ne dit rien. Il évitait de la juger, Peut-être était-il ennuyeux, plus âgé… Et puis le souvenir est une chose étrange. Dix ans plus tôt il avait épousé un ange. Il en était encor au début de l’histoire Et aveugle comme il se doit. Mais l’eau, en s’écoulant au fond de la baignoire — L’eau fluide qui fuit, entre les doigts Comme la vie de qui ne pense qu’à soi-même — Gloussa dans un glouglou du tuyau de vidange : « Pauvre femme et pauvre mari ! Il peut donner son cœur et son or d’homme riche; Le bonheur sera toujours chiche Avec lui. Si même elle prend un amant Ce ne sera qu’un ornement De son égoïsme candide; Rien ne la guérira jamais de son tourment. Tout lui sera toujours ennui. Femme qui demande qu’on donne Et ne donne plus à personne Ne se contente plus jamais. C’est le tonneau des Danaïdes… Et — baignoire — je m’y connais. »
Ce poème poignantly nous fait réfléchir sur notre rapport à l’image et au temps. Nous vous invitons à explorer d’autres œuvres de Jean Anouilh et à partager vos réflexions sur ce texte touchant.