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Prologue à la Tragédie
Vladimir Maiakovski, figure emblématique du futurisme russe, offre dans ‘Prologue à la Tragédie’ un regard incisif sur l’ennui et les tourments de la condition humaine. Écrit en 1961, ce poème s’inscrit dans un contexte historique marqué par des bouleversements sociaux et artistiques. À travers des images frappantes et une diction audacieuse, l’auteur nous interpelle sur le rôle du poète dans un monde où l’authenticité est souvent étouffée.
Est-ce vous qui comprendrez pourquoi serein, sous les tempêtes de sarcasmes, au dîner des années futures j’apporte mon âme sur un plateau? Larme inutile coulant de la joue mal rasée des places, je suis peut-être le dernier poète. Avez-vous vu comme se balance entre les allées de briques le visage strié de l’ennui pendu? Sur le cou écumeux des rivières bondissantes les ponts tordaient leurs bras de pierre. Le ciel pleure avec bruit, sans retenue, et le petit nuage fait de la bouche une grimace fripée comme une femme dans l’attente d’un enfant a qui Dieu jetterait une borgne imbécile. De ses doigts enflés couverts de poils roux le soleil vous a épuisé de caresses, importuns comme un bourdon. Vos âmes sont asservies de baisers. Moi, intrépide je porte aux siècles ma haine des rayons du jour, l’âme tendue comme un nerf de cuivre, je suis l’empereur des lampes. Venez à moi, vous tous qui avez déchiré le silence qui hurlez le cou serré dans les nœuds coulants de midi. Mes paroles simples comme des mugissements vous révèleront nos âmes nouvelles, bourdonnantes comme l’arc électrique. De mes doigts je n’ai qu’à toucher vos têtes et il vous poussera des lèvres faites pour d’énormes baisers et une langue que tous les peuples comprennent. Mais moi, avec mon âme boitillante je monterai sur mon trône sous les voûtes usées trouées d’étoiles. Je m’allongerai lumineux, vêtu de paresse sur une couche moelleuse de vrai fumier et doucement, baisant les genoux des traverses, la roue d’une locomotive étreindra mon cou. Extrait de: 1961, Maïakovski par Lui-Même (Seuil)
Ce poème, oscillant entre désespoir et défi, incite à une réflexion profonde sur notre humanité partagée. Ne manquez pas de découvrir d’autres œuvres de Maiakovski pour plonger davantage dans son univers riche et provocateur.