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La Flûte des Vertèbres

Vladimir Maiakovski, figure emblématique du poème moderne, nous offre avec ‘La Flûte des Vertèbres’ une œuvre riche en émotions et en réflexions. Écrit en 1915, ce poème aborde des thèmes universels tels que l’amour, la douleur, et le conflit intérieur avec une intensité remarquable. En tant qu’activiste et poète, Maiakovski interroge la condition humaine au travers de métaphores puissantes et d’une langue évocatrice, captivant ainsi le lecteur dans une exploration profonde de l’identité et de la souffrance.
PROLOGUE A vous toutes, que l’on aima et que l’on aime, icône à l’abri dans la grotte de l’âme, comme une coupe de vin à la table d’un festin, je lève mon crâne rempli de poèmes. Souvent je me dis – et si je mettais le point d’une balle à ma propre fin. Aujourd’hui, à tout hasard, je donne mon concert d’adieu. Mémoire ! Rassemble dans la salle du cerveau, les rangs innombrables des bien-aimées. Verse le rire d’yeux en yeux. Que de noces passées la nuit se pare. De corps et corps versez la joie. Que nul ne puisse oublier cette nuit. Aujourd’hui je jouerai de la flûte – sur ma propre colonne vertébrale. I Mon pas dans les rues écrase les verstes. Que faire de l’enfer qu’en soi l’on abrite! Qui donc, quel Hoffman céleste a pu t’imaginer, maudite? La tempête de joie écarte les rues. La fête déverse et déverse des heureux. Je médite. Les pensées, caillots de sang, caillées et malades, suintes de mon crâne. Moi, créateur de tout ce qui est fête, je n’ai personne pour partager ce jour. Je vais tout de suite m’écrouler, me fracasser le crâne sur le Nevsky de pierre. Voilà, j’ai blasphémé. J’ai hurlé partout que Dieu n’existe pas, et Dieu des profondeurs torrides fit sortir celle devant qui la montagne se trouble et frissonne et il commanda: tu l’aimeras! Dieu est content. Dans l’abîme, sous le ciel, l’homme harassé s’ensauvage et s’éteint. Dieu se frotte la paume des mains. Il se dit, Dieu: attends un peu, Vladimir! Et c’est lui, encore lui, Pour que nul ne puisse deviner qui tu es, qui a inventé de te donner un mari véritable, de garnir le piano de musique humaine. Que soudain l’on se glisse par la porte de la chambre, que l’on fasse un signe de crois au-dessus du duvet, je sais – cela sentirait le poil roussi la fumée souffrée d’un chair de diable. Au lieu de quoi je m’en vais jusqu’à l’aube, d’horreur que l’on t’ait emmenée pour t’aimer, errer, et tailler les cris en vers, joailler déjà presque fou. Peut-être, jouer aux cartes! De vin rincer la gorge du cœur desséchée de gémir. Je me passe de to ! Je refuse! Tout m’est égal, je sais que je vais crever. S’il est vrai que tu existes, Seigneur, Seigneur Dieu, si c’est toi qui tisses le tapis des étoiles, si cette souffrance tous les jours grandissante, m’est par toi, Seigneur, envoyé le martyr, prends donc ta chaîne de juge. Attends ma visite. Je suis exact, ne tarderai pas d’un jour. Ecoute, suprême inquisiteur! Les lèvres serrées, pas un cri ne lâchera ma bouche mordue jusqu’au sang. Comme à une queue de cheval attache-moi aux comètes, et fouette! que mon corps se déchire aux pointes d’ étoiles. Ou encore : lorsque mon âme migratoire fronçant un sourcil obtus viendra devant ton tribunal, lance la Voix Lactée, fais-en une potence, et, pends-moi, si tu veux, je suis un criminel. Fais tout ce qu’il te plaira. Veux-tu m’écarteler? Je te laverai moi-même les mains, à toi, le juste. Seulement, – enlève cette maudite, dont tu as fait ma bien-aimée! Mon pas dans les rues écrase les verstes. Que faire de l’enfer qu’en soi l’on abrite? Qui donc, quel Hoffman céleste a pu t’imaginer, maudite! II Et le ciel oubliant dans les fumées d’être bleu, et les nuages, comme des réfugiés en haillons, je les embraserai de mon dernier amour, éclatant comme le rose du poitrinaire. De joie je couvrirai les hurlements des hordes qui ont oublié la douceur d’une maison. Hommes, écoutez! Sortez des tranchées, vous finirez la guerre plus tard. Même quand, titubant de sang comme Bacchus, un combat se livre, les mots d’amour ne sont jamais flétris. Chers Allemands! Je le sais, sur vos lèvres vous avez la Gretchen de Goethe. Le Français percé d’une baïonnette, sourit, un sourire aux lèvres tombe l’aviateur abattu, s’il se rappelle le baiser de ta bouche, Traviata. Mais qu’est pour moi la mollesse rose mâchonnée par les siècles. Aujourd’hui tombez à d’autres pieds! C’est toi que je chante, maquillée et rousse. Peut-être que de ces jours, terribles comme les pointes des baïonnettes, quand les siècles blanchiront de barbes, ne resteront que toi et moi, lancé à ta poursuite de ville en ville. Que tu sois promise de l’autre côté de l’eau, que tu te caches dans la niche de la nuit, – je te baiserai à travers le brouillard de Londres des lèvres de feu de ses réverbères. Que dans le désert torride tu étires des caravanes, là où les lions se tiennent sur leur garde, – et je poserai pour toi, sous la poussière, déchirée par le vent, ma joue brûlante de Sahara. Que tu habilles d’un sourire les lèvres, que tu regardes – qu’il est beau le toréador! et soudain je lancerai dans les loges la jalousie de l’œil mourant du taureau. Que tu portes sur le pont un pas distrait, pensant : « Il ferait bon en bas ». Et c’est moi qui coule sous le pont, je suis la Seine, je t’appelle, je montre mes dents pourries. Qu’avec un autre tu allumes dans le feu des trotteurs Strelka ou Sokolniki, et c’est moi, grimpé là-haut, là-haut, qui attends, petite lune languissante et nue. Je suis fort, ils pourraient avoir besoin de moi, – s’ils m’ordonnent : « tue-toi à la guerre! » Il sera le dernier ton nom caillé sur la lèvre déchirée par l’obus. Mourrai-je couronné? A Sainte-Hélène? Des tempêtes de la mer sellant les vagues, je suis aussi bien candidat et au trône de l’univers et aux menottes. Il m’est échu d’être tzar, – c’est à l’image de ton petit visage, sur l’or solaire de ma monnaie, que j’ordonne à mon peuple : frappe! Et là-bas, où le monde se fane dans la toundra, où le vent du Nord marchande avec le fleuve, je gratterai sur la chaîne le nom de Lili et j’embrasserai la chaîne dans les ténèbres du bagne. Alors , écoutez, vous qui oubliez que le ciel est bleu, le poil hérissé comme celui des bêtes! Ceci est peut-être le dernier amour du monde embrasé d’un rose de poitrinaire. III J’oublierai l’année, le jour, la date. Je m’enfermerai solitaire devant une feuille blanche. Qu’elle naisse la magie inhumaine des mots, illuminés de souffrance! Aujourd’hui, à peine entré, j’ai senti – la maison est étrange. Tu cachais quelque chose dans ta robe de soie, et dans l’air flottait l’odeur de l’encens. Heureuse? Un froid « bien sûr ». Le trouble bouleverse le rempart de la raison. Brûlant et fiévreux j’entasse le malheur. Ecoute, pourquoi cacher le cadavre. Fais tomber sur ma tête l’avalanche du mot, puisque chacun de tes muscles comme dans un porte-voix claironne : il est mort, il est mort, il est mort! Non, réponds. Ne mens pas! (Comment m’en irais-je avec ça?) Tes yeux ont creusé dans ta face les fosses de deux tombeaux. Les fosses s’enfoncent. Elles sont dans le fond. Vais-je m’effondrer de l’échafaudage des jours. Au-dessus de l’abîme mon âme est tendue comme un câble, je m’y balance, jonglant avec les mots Je sais, tu as usé mon amour. Je devine l’ennui à des signes innombrables. Rajeunis-toi dans mon âme. Apprends au cœur la fête du corps. Je sais, une femme çà se paye. Tant pis, et en attendant je t’habille de la fumée du tabac, et non des belles robes de Paris. Je porterai mon amour, comme jadis le faisait l’apôtre, par mille fois mille chemins. Une couronne t’attend dans les siècles, dans cette couronne, mes mots font un arc-en-ciel de frissons. Comme les éléphants de leurs jeux de cent tonnes terminaient la victoire de Pyrrhus , ma démarche de génie a tonné dans ta tête. C’est en vain. Je ne peux t’arracher. Sois heureuse, sois heureuse, tu m’as eu enfin! J’ai si mal, à peine le temps d’arriver au canal pour mettre la tête dans le rictus de l’eau. Tes lèvres. Comme tu les fais brutales. A peine j’y touche, le froid me saisit. Comme si je baisais de lèvres pénitentes un monastère taillé dans le froid des rocs. Les portes battirent. Il entra, arrosé d’une gaîté des rues. C’était comme si un hurlement m’avait brisé en deux. je lui criai : « C’est bon, je m’en vais, c’est bon! Elle te restera. Donne-lui des chiffons, que les ailes timides s’empâtent sous la soie. Veille, qu’elle ne s’envole. Attache comme une pierre au cou de ta femme les colliers de perles! » Ah, cette nuit! Je serrai et serrai les cordons du désespoir. Mes pleurs et mes rires renversaient d’épouvante la gueule des murs. Une apparition se levait, ton visage que j’avais emporté, tes yeux l’illuminaient sur le tapis, comme si un vin nouveau Bialik inventait une reine éblouissante du Sion juif. Martyr devant celle que j’avais donnée, je tombais à genoux. Le roi Albert qui a perdu toutes ses villes est auprès de moi couvert de cadeaux. Roulez-vous dans l’or du soleil, fleurs et herbes! Printanisez-vous, vies des éléments! Je ne veux que d’un seul poison – boire des vers toujours et encore. Voleuse du cœur auquel tu as tout pris, tourmentant de délire mon âme accepte mon offrande, chérie, peut-être n’inventerai-je jamais plus rien. Colorez de fête la date d’aujourd’hui. Qu’elle naisse la magie pareille à la crucifixion. Voyez – je suis cloué au papier avec les clous des mots. (1915)
À travers ‘La Flûte des Vertèbres’, Maiakovski nous pousse à réfléchir sur notre propre existence et les dualités qui la traversent. N’hésitez pas à partager vos pensées sur ce chef-d’œuvre ou à découvrir d’autres poèmes de cet auteur prolifique.

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