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Berceuse pour un Pas-de-Chance
Le poème ‘Berceuse pour un Pas-de-Chance’ de Jehan Rictus offre une vision crue et émotive de la mortalité, en décrivant les souffrances des exclus dans le Paris du début du 20ᵉ siècle. À travers ses mots puissants, Rictus évoque une mélancolie profonde liée aux destins brisés, invitant le lecteur à réfléchir sur la condition humaine et l’indifférence sociale.
Do mon pétiot ; do ma tototte…. Te viens d’ t’effondrer su’ l’ crottoir comme un bestiau Ă l’abattoir ou comme un qui s’rait en ribotte. V’lan ! Nib de fieu ! Floc ! Never more ! Les passants caus’nt : ÂŤ C’est h’yeun’ syncope, faurait l’ poser chez l’ pharmacope ! Âť Toi… tu caus’s pas, pisque t’es mort. Un Mossieu qu’a un beau pardosse dit : ÂŤ J’ la connais c’est du chiqué ! Âť Toi, tu t’ostin’s Ă fair’ la rosse et tu t’ tais pisque t’es claqué. Ton bloum pisseux roulé Ă terre, ta p’lur’, tes tifs en escaĂŻers, tes sorlots qui montr’nt tes goigts d’ pieds font croir’ qu’ t’es pas un meuyardaire. Voyons un p’tit peu c’ qu’y t’a pris ; on t’ lèv’, on ouvr’ ta requimpette, v’lĂ qu’on voit qu’ t’avais pus d’ liquette et qu’ tes boĂŻaux sont vert-de-gris. Oh ! ça fait voir d’ quoi t’es crevé ; chacun se z’yeute avec malaise, le Mossieu lui… s’ tire Ă l’anglaise du temps qu’on t’arr’couch’ su’ l’ pavé. Do rataplan ! Do Mad’moiselle… de loin, légers comm’ des gazelles deux sergots s’amèn’nt essouflés, la gueul’ pleine de ÂŤ Circulez Âť ! T’as d’ la veine d’ĂŞt’ cuit, autrement qué qu’on t’ pass’rait dans l’ genr’ mandales pour t’apprendre Ă fair’ du scandale et ÂŤ causer des rassemblements Âť ! C’mment mon pauv’ vieux, en plein Paris, Ă deux pas des chouatt’s devantures t’es clamsé faute ed’ nourriture ? Pas possib’, c’était h’un pari ! Tu sauras qu’ c’est pas comme y faut, qu’ ça s’ fait pas en not’ ÂŤ temps d’ lumière Âť et qu’ les ceuss’ qui dis’nt el’ contraire, c’est d’ la grain’ d’anars et ÂŤ d’ Bonnots Âť. T’as donc pas pu te mette huissier, proprio, barbot, financier ? T’as empoyé ton ézistence Ă rester parmi les ÂŤ Pas-d’-Chance Âť ? SĂťr qu’avant d’en arriver lĂ t’as dĂť t’ cogner Ă ben des seuils, pus d’eun’ fois rester chocolat, le ventre vide et l’ cĹur en deuil. C’est donc ça qu’ t’as pas l’air content, qu’ t’as su’ la tronche un mauvais rire ; en sombrant quoi c’est qu’ t’as pu t’ dire si la Mort t’en a laissé l’ temps ? Tu t’es p’tĂŞt ben revu p’tit gas quand, au retour de l’atelier, ton Pepa t’ prenait dans ses bras en t’ disant : ÂŤ BonĂŻour mon salé ? Âť Au temps des preumières quenottes oĂš ta Moman se saoulait d’ toi en t’app’lant : ÂŤ Mon trésor, mon Roi, mon cien-cien, mon loup, ma tototte ! Âť Et pis t’ fesait dans les tétés des papatt’s et des çatouillettes, et t’inondait de baisouillettes, du quiqui Ă la berdouillette comme eun’ puĂŻe d’orage en été. Hein, si a t’ voyait lĂ ta Vieille, A lèv’rait ses pauv’s mains au ciel en disant : ÂŤ Moi que j’ l’ai nourri, y n’est claqué d’ faim, mon petit ! Âť Maint’nant t’as p’t-ĂŞt’ jamais rien eu que la Solitude et la Peine, t’as p’t-ĂŞt’ jamais tété, goulu, que l’ téton mou de la Déveine ! Bah ! Ă présent, do ma filleule…. Quoi qu’ t’aye pleuré, quoi qu’ t’aye souffert, te v’lĂ sorti de not’ enfer, t’es ÂŤ arrivé Âť, tu t’ fous d’ nos gueules. Avec eun’ bonne grâce essquise, les flics te lèv’nt Ă leur hauteur et te balanc’nt comme eun’ marquise d’autrefois, en chaise-Ă -porteurs. Les mĂŞm’s, qui t’emport’nt au p’tit trot, t’auraient truffé d’ coups d’ bottes ou d’ giffes si t’avais fait grève ou d’ la r’biffe ou bouffé Ă l’Ĺil chez Bistrot. Les passants qui sont cor émus s’en vont chacun Ă leu’ z’affaires ; tout Ă l’heure y n’y pensaient guère, Ă l’estant y n’y pens’ront pus. Adieu mon p’tit, pars… pour la Morgue. Tout l’ mond’ peut pas, évidemment, s’ procurer pour son enterr’ment les griftons, la grand Messe et l’orgue. Mais si des fois tu vas aux Cieux et qu’ tu t’y but’s dans l’ Fils de Dieu, au nom de nos maigres remords n’y racont’ pas comment qu’ t’es mort. N’y dis pas : ÂŤ J’arriv’ de Paris moi Seigneur, qu’étais votre Image ! VoilĂ comme on vous rend hommage, regardez mes boĂŻaux pourris ! Le turbin a pris ma jeunesse ma santé, ma joie, mes désirs ; et vioque on m’a laissé moisir, seul et nu devant la Richesse. Et quand Ă ces gas économes j’ai d’mandé un peu d’ pain ou d’ pèze ; Y m’ont cité les ÂŤ Droits de l’Homme Âť et m’ont chanté ÂŤ La Marseillaise Âť.
Ce chef-d’œuvre de Jehan Rictus nous pousse à contempler la fragilité de la vie et la nécessité de compassion envers ceux qui souffrent. N’hésitez pas à explorer d’autres œuvres de cet auteur pour enrichir votre compréhension de son univers poétique.