L’Écho des Ombres
Étirent leurs bras noueux sous un ciel de suie,
Gît un atelier perdu, fantôme aux vitres claires,
Où rôde le soupir d’une âme enfuie.
Là, jadis, un peintre aux doigts ensorceleurs,
Capturait l’infini sur des toiles rebelles,
Son pinceau dansait avec les lueurs premières,
Mais le monde riait de ses œuvres immortelles.
Les villageois, craignant son génie insensé,
Murmuraient son nom comme un venin glacé :
« Il pactise avec les ombres des clairières,
Ses couleurs sont des cris, ses lignes des barrières. »
Un soir d’automne où les brumes mentaient,
Une lettre glissa entre les racines troublées,
Encre pâlie, mots rongés par les ans taciturnes,
Elle parlait d’amour, de serments nocturnes.
« Ô toi qui peins le sang des étoiles filantes,
M’entends-tu geindre sous les feuillages tremblants ?
Je fus ton mécène, ton frère en espérance,
Mais j’ai vendu tes rêves pour un peu de silence.
Ils m’ont promis l’or, le pardon des foules,
J’ai livré tes secrets, tes toiles en moulures.
Tes chefs-d’œuvre, hélas ! brûlent dans leur théâtre,
Et mon âme se noie aux fontaines de l’âtre. »
Le peintre lut ces mots sous la lune fêlée,
Son cœur, cristal fragile, éclata en fumée.
Il courut vers la ville, ivre de véhémence,
Mais les ruelles riaient de son existence.
Les galeries, jadis pleines de ses éclats,
Exposaient des miroirs vides, sans éclats.
« Où sont mes tournesols noyés dans l’aube pâle ?
Mes forêts de jade où dansaient les rafales ? »
Un vieil homme, courbé comme un saule meurtri,
Lui chuchota : « Ils ont tout réduit en cendris,
Vos tableaux parlaient trop, ils gênaient les convives,
On leur préfère ici les paysages furtifs. »
De retour dans son antre aux murs couverts de lichens,
L’artiste prit un couteau, frère des arts anciens.
Sur la toile ultime, il traça son adieu,
Un autoportrait en lacets de sang bleu.
La forêt, ce jour-là, retint son souffle amer,
Les loups hurlèrent une marche funéraire,
Et quand les gendarmes percèrent les taillis,
Ils ne trouvèrent qu’un chevalet englouti.
Mais parfois, quand la nuit étend son linceul lourd,
Un voyageur égaré, épris de détours,
Entend des sanglots liés aux racines profondes,
Et voit danser des lueurs… les tableaux du monde.
La lettre, elle, repose sous une pierre grise,
Où l’on peut lire encore, malgré les bises :
« Je trahis l’indicible, l’éclat sans pareil,
Et devins spectre moi-même, au seuil du sommeil. »
Ainsi meurt l’artisan des soleils éclopés,
Dans le ventre des bois où tout est occulté.
Son crime ? Avoir cru que la beauté sincère
Pouvait vaincre l’oubli, les peurs éphémères.
Et nous, passants distraits, chercheurs de chemins vagues,
Frôlons-nous ces ruines sans entendre leurs vagues ?
Chaque feuille qui tombe est un pinceau qui sombre,
Chaque silence, un mot étouffé dans l’ombre.
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