Le Dernier Pinceau de l’Aurore
Un hameau froid, oublié des routes du temps,
Suspend ses toits de suie aux lèvres du désert,
Comme un nid déchiré par les serres du vent.
Là, sous un ciel de plomb que les cieux ont déserté,
Vit un homme au regard de braise et de secret,
Dont les mains, frêles ponts entre l’ombre et la clarté,
Peignaient l’âme du monde en un livre muet.
On l’appelait le Fou, car il parlait aux pierres,
Aux ruisseaux orphelins qui sanglotaient la nuit,
Aux arbres convulsés par d’anciennes colères,
Et l’enfance riait de son éternel ennui.
« Je pars demain », dit-il un soir à la fontaine
Dont l’eau vive en ses yeux mirait un ciel promis.
« Je sculpterai l’azur aux portes de la plaine,
Et j’offrirai ton nom aux anges endormis. »
La source, en gémissant, lui tendit une rose
Dont les pétales blancs buvaient le crépuscule :
« Prends ceci, voyageur des routes chimériques,
Mais reviens avant que l’hiver ne te recule. »
Il partit. Sur son dos, un sac de toiles vides,
Dans son cœur, l’océan des possibles ardents.
Les chemins serpentins, les forêts humides,
Tout chantait l’univers de ses rêves grondants.
Mais les saisons, hélas ! sont maîtresses cruelles :
Le givre mordit l’or des champs abandonnés,
Et l’artiste, perdu dans sa propre querelle,
Oublia la rosée des serments devinés.
Il peignit des clartés que nul ne saurait voir,
Des soleils éclatés en fleurs mélancoliques,
L’écho des passions dans le miroir du soir,
Et les pleurs de la terre en symphonies obliques.
Un jour, près d’un étang où glissaient des cygnes noirs,
Il croisa le Destin sous un manteau de brume :
« Ton pinceau danse bien sur le tissu du soir,
Mais qui pleurera ton âme quand viendra la rhume ? »
L’homme rit, les deux poings emplis d’étoiles mortes :
« Je suis l’amant du Rêve et le scribe du Vrai,
Ma tombe sera teinte des couleurs que je porte,
Et l’aurore naîtra de mon dernier regret. »
Pourtant, quand la toux froide emplit sa gorge étroite,
Quand ses doigts tremblotants cherchèrent en vain l’encre,
Il vit, au fond de lui, la fontaine qui boite,
Et la rose fanée en son sac toujours ancrée.
« Retourne ! » hurla l’ombre au seuil de sa faillite,
Mais les sentiers jadis ouverts s’étaient couverts :
La neige, lente veuve, avait enseveli
Les pas et les soupirs de ses chemins offerts.
Il tomba, le front lourd de visions perdues,
Sur un lit de graviers où gemmait le givre.
Ses toiles, déployées comme ailes déchues,
S’envolèrent au vent, sans personne pour les suivre.
Au village, la source, en pleurs, se tarit.
Les enfants, un matin, trouvèrent sous un saule
Un sac de lin usé où dormait, sans mépris,
Une rose de pierre… et personne ne cria.
Seul un vieux chevrier, au soir de sa dernière heure,
Murmura dans un souffle à la nuit qui tend l’oreille :
« Il avait promis d’offrir nos noms à la lumière,
Mais l’oubli est le sceau des rêves qui demeurent. »
Et depuis, quand la lune argente les ravines,
On dit qu’un spectre peint, aux couleurs de tourmente,
Tisse avec des pinceaux faits de brume et d’épines
L’aurore impossible où son serment se lamente.
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