Le Dernier Serment du Chevalier Solitaire
Sur les murs éventrés du manoir solitaire,
Où jadis résonnaient les rires émerveillés,
Maintenant hanté par le silence et la terreur.
Un chevalier errant, drapé de mélancolie,
Foule d’un pas lourd les dalles délabrées,
Son armure rougie par les pleurs de la vie,
Sous le ciel plombé des douleurs enterrées.
« Ô spectres du passé, témoins de nos tendresses,
Rendez-moi les instants où son regard clément
Illuminait ces lieux vidés de leurs promesses ! »
Sa voix se brise en échos au firmament.
Les tapisseries, jadis flamboyantes,
Pendent en lambeaux, mémoire des étreintes,
Et les vitraux brisés, lèvres expirantes,
Chuchotent des aveux que le temps a dépeints.
Il revoit en frisson la chambre aux tentures,
Où l’amour fleurissait en bouquets éphémères,
Les serments échangés sous les fresques impures,
L’heure où son cœur vibrait aux accords éthérés.
« Souviens-toi, murmurait-elle, ô mon âme liée,
De cet anneau d’argent scellant nos destinées :
Même si les destins nous trahissent un jour,
Je serai ton étoile au-delà des nuées. »
Mais la guerre appela le guerrier inflexible ;
Le clairon déchira l’aube de leurs adieux.
Elle, pâle et muette, un sourire indicible,
Lui tendit un rameau de chêne glorieux.
« Porte ce talisman contre les coups du sort,
Et que chaque bataille entende mon courage :
Je t’attendrai ici, fût-ce jusqu’à la mort. »
Le vent emporta leur ultime hommage.
Lunes après les lunes, il combattit l’envahisse,
Chaque coup d’épée un hymne à son serment.
Mais quand il revint, l’âme en exquise lisière,
Le château n’était plus qu’un sépulcre fumant.
Les tours, autrefois fières, gisaient en poussière,
Les ponts-levis rompus sur des fossés béants,
Et dans la cour, un tertre à l’ombre dernière :
Une croix de bois noir gravée de son sang.
« Non ! Ceci n’est qu’un rêve infligé par les ombres ! »
Hurla-t-il, étreignant la terre sans pardon,
Tandis que la pluie en lames froides et sombres
Lavait les noms jumeaux tracés sur le gazon.
La nuit tomba, peuplant les décombres vides
De murmures dansants et de rires fanés ;
Il crut voir son visage en chaque pierre vide,
Son fantôme tissé dans les murs condamnés.
« Rejoins-moi », soupira une voix de brume tendre,
Qui glissait de la tour où montait un chant clair.
Il gravit en tremblant les marches de cendre,
Guidé par l’espoir fou qui berce les enfers.
Là-haut, sous la lune, une forme légère,
Vêtue de reflets et de larmes d’argent,
Lui tendait une main diaphane et si chère :
« L’attente est achevée, mon cœur indompté. »
« Est-ce toi ? » balbutia l’homme en larmes vives,
Cherchant à saisir l’apparence qui fuit.
Mais l’esprit s’évapora, brume fugitive,
Laissant choir à ses pieds l’anneau de leurs nuits.
Alors, pris d’un vertige où se mêlaient les âges,
Il sentit son corps choir, lentement consumé,
Tandis que s’effaçaient les derniers paysages,
Rongés par les siècles qu’il avait bravés.
L’aurore le trouva, statue de poussière,
Accoudé sur l’épée où perlait un sang froid,
Les yeux fixés au loin, cherchant la mensongère
Lueur d’un retour que n’auraient ni temps ni lois.
Le château, à jamais, gardera dans ses pierres
L’écho de cet amour que nul ne peut briser,
Et les voyageurs, aux heures de prière,
Entendront deux voix enlacées pleurer.
Ainsi meurt le serment que la mort même ignore,
Ainsi s’éteint un cœur qui ne sut pas ployer.
Le vent emporte ailleurs la légende sonore,
Mais l’âme des amants erre sans trouver quai.
Nul ne saura jamais, dans les livres d’histoire,
Si les larmes du ciel lavent leur infinité :
Seul le crépuscule, témoin de leur mémoire,
Murmure leur nom dans l’éternité.
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