Les Échos du Silence
Un vieillard au pas lent, ombre parmi les roches,
Contemple les débris des autels solennels
Où jadis florissaient les espoirs éternels.
Son regard, lac profond où nage la tristesse,
S’attarde sur un nom gravé par la jeunesse,
Lettre à lettre rongé par les pleurs du granit :
« Ô toi qui lus ces mots, souviens-t’en à jamais. »
Les colonnes, témoins des serments éphémères,
Chuchotent au vent sourd des phrases de chimères ;
Il écoute leur chant, fantôme du passé,
Et soudain revoici l’été tant caressé…
C’était lorsque avril met des perles aux cerisiers,
Qu’il vit dans ce même enclos, sous les marronniers,
Une femme au front pâle, aux cheveux d’aube claire,
Dont le rire léger dansait avec l’air frais.
Elle errait, main posée aux stèles inclinées,
Comme une âme en quête de ses propres années,
Et lisait à voix basse, avec un air songeur,
Les épitaphes noirs où se meurt la rougeur.
Leurs yeux se rencontrèrent au détour d’une allée,
Fulgurance d’un ciel que la foudre a troué ;
Mais lui, cœur prisonnier des chaînes du devoir,
Baissa les siens, glacé par un morne savoir.
Elle, d’un geste lent, cueillit une pervenche,
Fleur humble dont le bleu vers le silence penche,
Et la posa sans mot sur un autel brisé,
Offrande sans destin au rêve méprisé.
Les jours suivants, il vint, pèlerin de lui-même,
Espérant croiser l’ombre de ce diadème ;
Et chaque fois, le sort, ce maître sans pitié,
Les unissait un peu dans un monde oublié.
Ils parlaient de la pluie, des livres, des nuages,
De tout, hormis de l’unique et brûlant message
Qui nouait leurs regards, vibrant comme un filin
Au bord du précipice où s’abîme le lin.
Un soir, elle tendit un livre à la reliure
Usée par les soupirs d’une lecture obscure :
« Gardez ceci, dit-elle, il vous appartient mieux…
Les mots y sont des clés pour les cœurs soucieux. »
Puis elle disparut dans le crépuscule ore,
Sans qu’un adieu ait pu déchirer cette aurore ;
Il resta, le volume au cœur serré collé,
Comme un dernier lien au bonheur envolé.
Les ans ont déroulé leur implacable trame,
La femme s’est éteinte en un lointain dictame ;
Lui, chaque jour, revient en ce temple en ruine
Où leur amour secret sous les ronces décline.
Aujourd’hui, le vieillard, sentant venir la nuit,
Tremble en ouvrant le livre où sa peine a relui :
Une lettre jaunie en tombe, aérienne,
Révélant des aveux que le temps a gardés.
« Si vous lisez ceci, sachez que je vous aime,
Depuis l’instant où l’aube effleura le baptême
De nos silences joints sous les cieux indulgents…
Mais la vie est un pont que l’on passe en songeant. »
Le cri muet qu’il étouffa jadis éclate,
Vague submergeant l’être en une sourde hâte ;
Il court, ou plutôt tombe, vers l’autel déserté,
Étreignant la pervenche au linceul de l’été.
La tempête se lève, arrachant les vestiges,
Les murs croulent en lui comme un ultime adige ;
Il s’allonge, les yeux fixés sur le pâle azur,
Tandis que le passé murmure : « J’étais sûr… »
Sous la lune qui perce les nuages funèbres,
Son dernier souffle monte, libre de ses ténèbres,
Et va mêler sa cendre aux parfums d’autrefois
Où deux regards unis auraient pu choisir l’espoir.
Le temple n’est plus rien qu’un amas de poussière,
Mais dans le vent qui geint près de la clairière,
On entend parfois naître un écho étouffé :
« Ô toi qui lus ces mots, souviens-t’en à jamais. »
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